venerdì 20 febbraio 2015

La musique dans la vie


Danièle Huillet et Jean-Marie Straub mettent particulièrement en avant le système social qui régit la production de la musique. L’histoire du film est surtout celle de la progressive prise de position d’un homme, de Jean-Sébastien Bach, dans ce réseau, et du sens que va prendre ainsi sa musique, de la résistance qu’implique le fait de faire de la musique.
En s’appuyant sur des documents d’époque, les Straub ne masquent rien du système de commande et de l’institution dans lesquels la musique de Bach se trouve prise. La présentation de gravures constitue ainsi une sorte de géographie de tous les lieux où Jean-Sébastien Bach se déplace au gré des postes obtenus et des demandes officielles, et qui ne recouvre pas celle de ses désirs personnels, par exemples ses voyages à Hambourg, à pied, pour aller écouter Dietrich Buxtehude. L’insistance sur la matérialité de ces trajets fait sentir la force et la volonté qu’implique, notamment à l’époque, le désir de perfectionnement malgré les contraintes économiques du métier. La voix off d’autre part, énumère les noms de ces lieux, ceux des hommes de pouvoir, des événements officiels où se mêlent fêtes religieuses et moments publics — « …de même pour le Nouvel An, l’Epiphanie, la Trinité, la Saint-Jean, la Saint-Michel et la fête de la Réformation, les trois fêtes de Marie, et le renouvellement du Conseil Municipal » —, ainsi que ceux des multiples églises où Bach et ses étudiants doivent assurer la musique. L’effet d’accumulation que cela produit donne l’idée non seulement d’un travail colossal, mais également du degré d’intrication de la musique et de la vie publique. La lecture des lettres écrites par Bach montre aussi, par la langue à l’humilité exacerbée, les démarches toujours renouvelées auxquelles Bach doit se plier pour conserver ses postes, sa solde, ses prérogatives. Il s’agit bien d’une lutte permanente pour pouvoir composer et gagner son pain.
Or, c’est justement dans ce cadre-là qu’on entend pour la première fois la voix de Bach et c’est sur cette question matérielle et politique que les Straub articulent la présentation de la musique de Bach et l’action du personnage Bach. Alors que des hommes de pouvoir évoquent en réunion la prétendue inactivité du Kantor, ce moment est immédiatement suivi de la lecture par Gustav Leonhardt, ce qui tranche avec la voix off de Christiane Lang, d’une lettre où Bach établit un lien entre le traitement des musiciens et la qualité de leur musique, en constatant que lorsque les musiciens sont mal payés et doivent vivre dans le souci, cela nuit à leur capacité non seulement morale mais matérielle de se perfectionner dans un instrument en particulier. C’est le premier acte de prise de position du musicien, que les Straub filment de manière directe, en montrant pour la première fois le visage et la voix du personnage de Bach. C’est alors que prend sens le fait que le film mette en avant la seule musique de Bach, par contraste avec ce moment où la musique ne suffit plus, où il faut parler pour révéler une injustice.
Cela sera développé dans un deuxième moment, celui où apparaît la seule action, au sens hollywoodien du terme, où éclate un scandale. Bach, qui en tant que Kantor est chef de la musique mais n’a aucun pouvoir sur les nominations des chefs de chœur, essaie d’expliquer que celui avec lequel il est contraint de travailler n’est pas compétent. Devant l’absence de réaction de l’autorité, il fait irruption dans une répétition et chasse violemment l’homme en question. Il agira de même avec un étudiant qui a enfreint sa défense de chanter sous la direction du mauvais chef. La violence du plan, unique par sa nature presque languienne — l’éclatement du conflit entre justice et injustice, fait de ce moment le point focal du film, où vouloir faire une musique excellente relève d’un acte de résistance et de révolte face au pouvoir. Ce moment montre alors de manière exemplaire que le musicien ne peut détacher sa musique du réel, ne peut éternellement continuer de jouer, si les entraves à sa liberté sont trop fortes. Le monde de l’art doit s’affirmer concrètement comme insoumis face au pouvoir.
Le fait que Danièle Huillet et Jean-Marie Straub aient choisi pour incarner Bach Gustav Leonhardt, alors que les producteurs du film voulaient leur imposer Herbert von Karajan, est significatif de leur volonté d’une continuité entre le film et le réel, refusant un chef qui justement avait fait le choix d’une grande carrière avant toute préoccupation morale et politique, et dont les options musicales ne leur semblent pas pertinentes. En effet, la position de Leonhardt, pionnier, et encore peu connu à l’époque, du renouveau de la musique baroque(9), avec des interprétations sur instruments d’époque et voix de garçons, et en rupture avec les interprétations romantiques, rencontre très clairement l’idée de résistance selon les Straub , ainsi que leur recherche de l’authenticité. Il n’y a pas l’art et le réel, l’art est aussi le réel, et c’est pourquoi la Chronique d’Anna Magdalena Bach n’est pas un film qui représente la musique mais qui la filme.
scritto da Agnès Perrais

L'originale è qui:
http://www.elumiere.net/exclusivo_web/internacional_straub/textos/chronique_perrais.php

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