mercoledì 29 ottobre 2014

De l'humain au minéral, l'enchantement du monde (de Calabre)

di LE MONDE | 

Des révélations comme celle-là, il s'en manifeste rarement. Des cinéastes comme celui-ci, il faut les honorer. Ce film, d'une malicieuse simplicité, est stupéfiant de beauté et de gravité. On s'y retrouve au bout du monde, en un lieu archaïque où perdurent des traditions ancestrales. C'est pourtant bien aujourd'hui qu'il a été tourné, dans un paisible village médiéval perché dans les montagnes de Calabre.

Quatre histoires s'y enchaînent, comme se succèdent les saisons, elles-mêmes rythmées par des petits épisodes faussement anodins dont l'auteur scrute les effets en chaîne. La première cerne un vieux berger mal rasé, chemise à carreaux et pantalon de velours brun, qui conduit quotidiennement son troupeau de chèvres sous des cieux peu fréquentés. Majesté du silence, musique des grelots. Bêlements, bruits de sabots. Le pasteur courbé sur son bâton se rend régulièrement à la sacristie où la bonne du curé lui refile de la poussière d'église contre une bouteille de lait.
Délayée dans l'eau, cette poudre magique a des vertus thérapeutiques. Il en boit sa rasade chaque soir avant de se coucher, comme un médicament. Un jour, le sachet sacré tombe dans l'herbe pendant que le vieux soulage ses intestins. Ce soir-là, lorsqu'il tente, aux abois, de se procurer une nouvelle dose de particules miraculeuses, il trouve porte close. Le vieil homme va mourir durant la nuit, s'asphyxiant sous le regard de ses chèvres qui ont envahi la masure.
Ainsi filme Michelangelo Frammartino, en privilégiant un son d'ambiance sans dialogues et ses cadrages, passant du jour à la nuit, et vice versa. L'écran devient noir lorsque se ferme la porte du caveau. Et la lumière aveugle un chevreau extirpé de l'utérus de sa mère. Nous suivons maintenant la croissance de ce petit fragile, son sevrage, jusqu'à ce qu'il s'égare du troupeau dans un maquis, se retrouve seul, perdu, agonisant de froid au pied d'un arbre majestueux. L'arbre est un grand sapin, celui que les villageois choisissent pour la fête de la "Pita" : il est scié à la base, transporté vaille que vaille pour être érigé sur la place du village, mât de cocagne d'un jour avant de finir tronçonné, chez le charbonnier.
La quatrième histoire est celle de la construction d'une meule : bûches disposées en cercle selon un rituel, recouvertes d'un lit de foin, puis de terre. Et combustion, cuisson un jour et demi durant, pour obtenir du charbon de bois.
Ces fascinantes strophes des cycles naturels déclinent quatre règnes : ceux de l'humain, de l'animal, du végétal et du minéral. Michelangelo Frammartino cite Pythagore : "Nous avons en nous quatre vies qui s'emboîtent les unes dans les autres. L'homme est un minéral, car son squelette est constitué de sels, un végétal, car son sang est comme la sève des plantes, un animal, car il est mobile et possède une connaissance du monde extérieur. Il est humain, car il a volonté et raison." Le philosophe grec du VIe siècle avant Jésus-Christ ne doit pas vousinquiéter.
Aucune prise de tête dans Le Quattro Volte, rien que de la poésie secrète, une captivante exploration de coutumes et des temps qui scandent vie, mort, et renaissance. Une éblouissante limpidité narrative. Pythagore habita là, en Calabre, y enseigna le sens caché des choses et la présence d'une âme en chaque chose. Se dépeignant comme "un médium entre la matière et la forme", filmant sa cosmogonie, Frammartino aime à rappeler que Pythagore discourait derrière un rideau, une toile qui préfigurait l'écran de cinéma. Cet hommage relativise l'empreinte de l'homme, qui n'est au centre de l'image que le temps de passer le relais au chevreau, puis au bois et au charbon, au fil d'une transmigration. Rien ne se meurt, tout se transforme. Le décor reste immuable, les pulsations de la matière varient.
D'où vient ce Frammartino à formation d'architecte, qui semble avoir appris la dignité existentielle chez les gens de peu, au contact de rituels païens, et dont la manière, l'art d'orchestrer son cantique de la terre, évoque celle du grand Ermanno Olmi, l'auteur de L'Arbre aux sabots (1978) ? Situé dans la même région, contant le naufrage d'un village dépeuplé où une jeune fille muette et attardée offrait son corps à des automobilistes de passage, son premier film, Il Dono (2003), était déjà interprété par cet attachant vieillard qui n'est autre que son propre grand-père. Il y exaltait le don, en opposition à l'échange.
Grand Prix indiscutable du dernier festival de cinéma italien d'Annecy, Le Quattro Volte témoigne d'une curiosité contemplative pour les mystères et d'une réticence viscérale pour les artifices. Mais aussi d'un sens aigu de l'humour. Digne deBuster Keaton et de Jacques Tati, un long plan-séquence dont le héros est un chien vaut, à lui seul, d'être préservé dans les cinémathèques. A l'entrée du village, au croisement de deux routes, ce clébard endiablé perturbe la procession religieuse des habitants déguisés en soldats romains, puis retire une cale sous la roue d'une camionnette stationnée en équilibre instable, qui dévale la pente et défonce en contrebas la barrière de l'enclos où le berger parquait ses chèvres. Ici, le réalisme extrême de cette fiction aux apparences de documentaire réinvente la mécanique des catastrophes en chaîne et l'art du cadavre exquis.

L'originale è qui:
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2010/12/28/le-quattro-volte-de-l-humain-au-mineral-l-enchantement-du-monde_1458461_3476.html

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