giovedì 6 dicembre 2012

Le curé et la Sainte Agonie


« La véritable structure selon laquelle se déroule le film n’est pas celle de la tragédie mais du « Jeu de la Passion » ou, mieux encore, du Chemin de Croix. Chaque séquence est une station. La clef nous en est révélée par le dialogue dans la cabane entre les deux curés quand celui d’Ambricourt découvre sa préférence spirituelle pour le Mont des Oliviers. « N’est-ce pas assez que Notre Seigneur m’ai fait cette grâce de me révéler aujourd’hui par la voix de mon vieux maître que rien ne m’arracherait à la place choisie par moi de toute éternité, que j’étais prisonnier de la Sainte Agonie. » la mort n’est pas la fatalité de l’agonie, seulement son terme et la délivrance. Nous saurons désormais à quelle souveraine ordonnance, à quel rythme spirituel répondent les souffrances et les actes du curé. Ils figurent son agonie.
Il n’est peut-être pas inutile de signaler les analogies christiques dont abondent la fin du film, car elles ont des raisons de passer inaperçues. Ainsi les deux évanouissements dans la nuit ; de la chute dans la boue, des vomissures de vin et de sang (où se retrouve une synthèse de métaphores bouleversantes avec les chutes de Jésus, le sang de la Passion, l’éponge du vinaigre et les souillures des crachats). Encore : voile de Véronique, le torchon de Séraphita ; enfin la mort dans la mansarde, Golgotha dérisoire où ne manque pas le bon (ou le mauvais ?) larron. Oublions immédiatement ces rapprochements dont la formulation trahit nécessairement la pure immanence. Leur valeur esthétique procède de leur valeur théologique, l’une et l’autre s’opposent à l’explicitation ; Bresson comme Bernanos s’étant gardé de l’allusion symbolique, aucune des situations dont la référence évangélique est cependant certaine n’est là pour sa ressemblance, elle possède sa signification propre, biographique et contingente, sa similitude christique n’est que seconde par projection sur le plan supérieur de l’analogie. La vie du curé d’Ars n’imite en aucune façon celle de son Modèle, elle La répète et La figure. Chacun porte sa Croix et chaque Croix est différente mais ce sont toutes Celle de la Passion. Au front du curé, les sueurs de la fièvre sont du sang.
Aussi pour la première fois sans doute, le cinéma nous offre non point seulement un film dont les seuls événements véritables, les seuls mouvements sensibles sont ceux de la vie intérieure, mais, plus encore, une dramaturgie nouvelle spécifiquement religieuse, mieux, théologique : une phénoménologie du salut et de la grâce. »
André Bazin, Le Journal d’un Curé de Campagne et la stylistique de Robert Bresson, Cahiers du Cinéma n° 3, juin 1951
« C’est aux ailes de la Victoire de Samothrace que Le Journal d’un curé de campagne fait penser. Prodigieuse victoire de l’image et du verbe. Bresson ne trouve qu’un précédent : Dreyer. En paraphrasant les dernières paroles du curé d’Ambricourt – Tout est grâce ! - Bresson semble ajouter « Tout est poésie ». C’est par la poésie que tout spectateur, même l’agnostique, devient la conscience du héros. Il va de soi que la révélation d’une prise de conscience importe plus que les raisonnements qui en découlent – La poésie à la source de la raison ! Si vraiment derrière l’art de Bresson, il y a une pensée méthodique et concertée, le ressort de son œuvre est là. Cela expliquerait aussi la continuité absolue entre l’œuvre littéraire de Bernanos et l’œuvre filmique de Bresson. […]
R. Bresson domine toutes les composantes du film, la musique même – la belle musique de J.J.Grunenwald – devient un élément fonctionnel qui se fond dans l’ensemble du Journal du Curé de Campagne. Bresson a senti – et nous fait sentir – l’angoisse de son personnage, son infinie détresse d’homme solitaire. Solitaire, parce qu’il est le seul dans sa paroisse à vivre selon le Christ. Le curé d’Ambricourt est un solitaire comme le pasteur de Dies Irae. Cette angoisse atteint une telle perfection, que le film donne en réalité un sens de bonheur : on est heureux d’avoir été envoûté par le plus hostile des messages, par cette lutte contre le vide de l’âme, par la grâce. Le film « catholique » diffère en cela du film « protestant » de Dreyer, on aura observé cependant que tous les deux s’achèvent sur la même image, qui ne doit rien au cinéma : une croix de lumière, qui cache les larmes d’Anna dans le janséniste Dies Irae ; qui annonce la mort du curé « Qu’est-ce que cela fait ? Tout est grâce. » dans Le Journal d’un Curé de Campagne. […] »
Lo Duca, Un acte de foi, Cahiers du Cinéma n°1, avril 1951

Nessun commento:

Posta un commento